Un
électeur déçu de Sarkozy, ex-ministre, gaulliste, qui est-ce, Villepin? Non, Léotard François
qui publie une critique acerbe des débuts de lui là
bas.
Moins d'un an après l'élection c'est l'allali et
l'auteur l'affirme « ça va mal finir »,
on veut bien le croire.
"
Ça a débuté comme ça. Une élection,
une fête, du Champagne. Et du chiffre d'affaires au mètre
carré. C'était pétillant. Je n'allais pas bouder
mon plaisir puisque j'avais voté pour lui. [...] Naturellement
mon cote gaulliste avait quelques regrets. La France prenait des
allures de grande surface, et parmi les candidats mon produit était
en tête de gondole. La publicité et les promesses
s'accompagnaient l'une l'autre comme deux petites voleuses qui font
les sacs à main. Ensemble tout était possible. J'étais
heureux qu'on soit ensemble. C'est étonnant comme on aime à
croire ce qui n'est pas croyable.
Il a
fallu plusieurs mois pour entendre parler de faillite. L'homme de
Matignon, Mon le velouté, s'était laissé aller.
Faillite ! C'est un mot que l'on aurait aimé entendre au mois
de mars, avant l'élection... Au moment des giboulées.
On s'y serait fait. Moi, je pensais à Churchill : "Je
n'ai à vous offrir que de la sueur, des larmes et du sang."
Et Londres bombardée tous les soirs. Nous, on allait très
bien. Merci. La dette faisait à peu près l'équivalent
du budget de l'Education nationale. Les intérêts
seulement ! Pas le capital. Je me disais : ça va être
bien. On pourra faire deux fois plus de lycées... Il suffira
de rembourser ce que nous devons, de revenir à l'équilibre
et le tour sera joué ! D'autres le font autour de nous.
C'aurait été une promesse de grande qualité. Un
millésime rare au rayon de l'œnologie politique. J'avais
oublié que la dette, c'est comme la morphine : du bonheur
immédiat ! On a donc choisi la béatitude. [...] Dès
le lendemain on ne fut pas déçu : la retraite
monastique bercée par le clair de lune sur un scénario
de Fitzgerald, le clapotis des flots au large de Malte, puis aussitôt
après le déferlement des milliardaires, la chasse aux
nigauds baptisée modestement "ouverture", les
infirmières bulgares, le drapeau tricolore relooké par
Prada, les intermittences du cœur sous les ombrages de la Lanterne,
un gouvernement tétanisé par les engueulades, les
escapades à Saint-Tropez, enfin les bien-aimés du
pouvoir, le gratin du Bottin mondial : Chavez, El-Assad, Kadhafi,
Poutine... les cancres du passage en terminale de la démocratie.
Je commençais, petit à petit, à bouffer mon
bulletin de vote. [...] Sarkozy, c'est Glenn Gould en moins délicat.
Il joue avec les mots sur son piano. Un artiste. Comme l'interprète
canadien, il accompagne ses partitions de soupirs, de mouvements du
visage qui donnent à la pièce jouée la
permanente allure d'un chef-d'œuvre. Mais ce n'est pas du Bach.
Prenons
l'exemple de ses rapports avec la police. Ils ont séduit une
droite qui ne plaisante pas avec ces choses-là, ils ont
alimenté ses nombreux discours, et sans doute, comme pour tous
les enfants, marqué son parcours. Voilà une institution
qu'il aime. Il s'y plaît. [...] Sarkozy ne parle pas de la
police. Il est la police. Il est l'ordre. L'ordre seulement, mais
l'ordre complètement. Sa doctrine est faite : les loubards des
banlieues n'ont pas de problèmes sociaux, ni de logement, ni
de culture, ni d'emploi. Les pédophiles n'entrent pas dans la
catégorie de l'acquis mais dans celle de l'inné, les
récidivistes que la prison a largement amochés doivent
y retourner le plus vite possible. Ils ont été jugés
? Aucune importance. Pour le même délit, déjà
purgé, on va inventer 'un suivi' en milieu fermé,
c'est-à-dire une deuxième prison qui s'ajoute à
la première, mais sans jugement. A quoi bon ? C'est l'Etat qui
doit décider, c'est-à-dire l'exécutif, c'est-à
dire la police. Il semble que notre président n'ait lu ni
Tocqueville, ni Montesquieu, ni Benjamin Constant, il semble que la
séparation des pouvoirs lui soit une énigme. Si l'on
rend la justice Place-Beauvau, ce sera plus rapide. Et surtout plus
près de l'Elysée. [...] On se souvient qu'il répétait
volontiers qu'on ne faisait appel à lui que dans les moments
désespérés. Alors il arrivait, soulevait le RPR
et l'exaltait en quelques jours, redressait le budget de la nation,
rendait à la police la confiance qui lui manquait. [...]
C'est
vrai, on aurait dû se méfier. Dans le monde sauvage des
animaux politiques, il ne faut pas être sur le passage d'un
prédateur. Je le sais, j'ai traversé imprudemment la
savane. Chirac était un carnassier débonnaire. Avec
lui, on était mort, mais c'était sans rancune. Chacune
de ses victimes, antilope déchiquetée et consentante,
devenait digne d'une amitié nouvelle définitivement
inoffensive. Avec Sarko, c'était différent. Le fauve
avait - si l'on peut dire - une mémoire d'éléphant.
Un jour, me parlant justement de Chirac, il m'avait dit : "François,
n'oublie jamais ceci : je suis fidèle à mes ennemis."
J'en ai encore froid dans le dos. L'ouverture n'a rien changé
à cela. Elle donne à la victime un côté
comestible qui la fait s'aplatir avec une docilité
déconcertante. La douceur de Jack Lang dans ses approches
concentriques du pouvoir fait penser aux roucoulements des pigeons
qui ne voient pas, dans la casserole, les olives dont ils seront
bientôt entourés. [...] Et je crains que la belle
histoire qui nous est racontée du haut de l'Elysée ne
se termine mal. Parfois je ne peux empêcher un certain malaise
de venir en moi. J'essaie de le chasser et il revient. Je prends un
livre et ça revient de plus belle. [...] Depuis que tu es à
l'Elysée je suis inquiet. Qu'est-ce qui t'a pris exactement ?
Je lis dans un journal que désormais la police française
arrête des enfants... J'ai suivi avec consternation le morceau
de Grand-Guignol qui t'a mis dans les bras de Kadhafi... J'apprends
que tu as une «plume» qui te fait dire des bêtises...
Il paraît que tu n'écoutes plus ceux qui t'entourent...
Tu aurais même traité mon ami Martinon "d'imbécile"...
Et ce pauvre Mon avec ses beaux yeux de labrador... C'est pas bien
tout ça, Nicolas. Je te le dis parce que nous avons grandi
ensemble. [...] Et puis ces histoires d'ADN pour le regroupement
familial, ce n'est pas toi ! Tu t'es fait déborder par
quelques malades de l'UMP Des frénétiques... [...]
Tu
as eu raison de citer Guy Môquet. Cette jeunesse-là,
intacte et fervente, qui s'abat d'un seul coup, laissant derrière
elle le grand silence du courage, cette jeunesse-là, elle est
belle et sans doute plus belle que la nôtre... J'aurais aimé
qu'à côté de Guy Môquet tu cites Aragon,
celui de 'l'Affiche rouge'. Parce qu'il parle de Manouchian et que le
poème d'Aragon est lové dans l'écriture de la
dernière lettre du futur fusillé. Pourquoi dis-je cela
? Parce que ces étrangers "mais nos frères
pourtant" ont davantage honoré la France que ces "bons
Français" qui tranquillement la salissaient à
Vichy. Parce que ce sont souvent des étrangers qui ont aimé
notre pays plus que nous ne l'avons fait. Parce qu'ils portaient "des
noms difficiles à prononcer", parce qu'ils considéraient
que peut-être dans le mot France il y avait un désir de
droit et - qui sait - une résistance cachée"
François
Léotard, Ca va mal finir
Grasset,
130 pages pour 10 euros, en vente le 13 mars.
Illustration: Boisseau Sculpteurs