J'avais déja eu fin Janvier l'occasion de soutenir la BCE dans sa politique de lutte contre l'inflation vs relance par la baisse des taux.
Paul Fabra, pour les Echos, l'explique à sa manière, nous rappelant qu'en l'occurrence nous n'aurons de choix qu'entre deux maux, reste à choisir le moindre.
"Pourquoi convient-il, tous comptes faits, de se féliciter de la prise de position des gouverneurs du système monétaire européen ? A son tour, Christian Noyer n'y est pas allé par quatre chemins. Mardi de cette semaine, il a déclaré sur RTL : « Le grand problème, c'est d'assurer que l'inflation revienne au-dessous de 2 % l'année prochaine. Si besoin, nous modifierons les taux d'intérêt » (« Les Echos » du 23 avril). On avait entendu les jours précédents des propos similaires tenus par le président de la Bundesbank, et (notamment) par celui de la Banque d'Autriche.
Pas trop d'inquiétude à avoir ! On dispose d'une année pour y arriver (quand on veut tuer tout de suite l'inflation, on prend moins de temps que cela !). En attendant, l'euro a atteint de nouveaux sommets vis-à-vis du dollar. Cela n'arrange pas les affaires des entreprises exportatrices. Louis Gallois s'est exprimé sur ce point avec éloquence. Aucune raison de ne pas le croire. Ce n'est pas le contredire que d'observer que tout, il s'en faut de beaucoup, n'est pas joué et que les délais de livraison sont longs. Le taux de change du dollar n'est pas figé. Les choses vont beaucoup changer dans les mois et années à venir. L'inflation rampante ou ouverte mais non retenue ne peut connaître qu'un dénouement : la chute brutale de la valeur des actifs (immobiliers...) et des biens de tout genre (matières premières...) aux prix gonflés. L'inflation est l'antichambre de la déflation.
Voilà pourquoi il y a lieu de s'estimer plutôt content du message concerté des participants les plus en vue du système monétaire européen. On ne voit guère une autre interprétation lui donner que celle-ci. Les patrons de l'euro ont voulu annoncer non pas qu'ils songent aujourd'hui à monter les taux de la BCE, mais qu'ils ne suivraient pas la Fed au cas où celle-ci abaisserait de nouveau les siens de façon significative. Comme par hasard, une rumeur a commencé simultanément à se répandre sur les marchés. Vu les menaces sérieuses d'inflation, la Fed serait désormais déterminée, une fois le taux directeur ramené à 2 % (nouvelle baisse d'un quart de point) dans les jours qui suivent, à s'en tenir là.
A supposer qu'il y ait une part de vérité dans ce qui vient d'être dit, la mise en garde des banquiers centraux d'Europe continentale apparaît comme un avertissement salutaire lancé au bon moment. Dans la forme : en s'exprimant ainsi directement eux-mêmes, ils renforcent l'autorité de leur mandataire : le président de la BCE, Jean-Claude Trichet. Sur le fond : il faut imaginer ce qui pourrait se produire si la Banque centrale européenne écoutait les conseils irresponsables des politiciens, français et italiens notamment. Ils suivraient Ben Bernanke (le digne successeur de l'indigne Greenspan !) dans sa tentation de donner carrière à l'émission monétaire par l'abaissement des taux, lequel ne connaît qu'une seule limite : le taux 0.
Ce qui anime aujourd'hui comme hier les dirigeants monétaires d'Amérique du Nord est une phobie, habillée de pseudo-théories, de la déflation. On n'arrive pas à la penser en dehors du précédent désastreux des années 1930. Au risque de déclencher sur le monde une vague d'inflation prête - maints signes paraissent l'indiquer - à exploser. Une seule force est en mesure de l'arrêter : une relative sagesse du pôle monétaire représenté par l'euro. Dans ce domaine, les grandes victoires sont de celles qui ne rapportent rien. Elles sont invisibles. Elles consistent à empêcher les catastrophes. Et qu'un précédent effrayant serve à jamais de leçon. Comment Adolphe Hitler a-t-il d'emblée consolidé et trouvé une large assise populaire à son pouvoir (les ouvriers sauvés du chômage et de la misère lui sont restés fidèles jusqu'à la fin) ? Il a pactisé avec l'inflation. Il en a utilisé les ressorts en en réprimant efficacement les effets. La Reichbank finançait à guichet ouvert la remise au travail. Les prix étaient stabilisés à l'abri d'un contrôle des changes impitoyable et d'une mise sous tutelle non moins totale des échanges avec le monde extérieur.
Sur un registre entièrement différent et exempt de drame, rien n'a beaucoup changé dans les schémas d'observation et de pensée depuis que le Japon quitta (au début des années 1990) les délices de l'inflation boursière et immobilière non reconnue pour telle, et cela pour se plonger indéfiniment dans le morne climat de la déflation lente. Cela ressemble à ce qui se passait jadis sous le régime de l'étalon-or, où la déflation respectueuse du pouvoir d'achat des salariés (et, au contraire, le consolidant) succédait presque régulièrement à des périodes d'exubérance des marchés financiers propices à la naissance d'empires industriels et bancaires, source d'immenses fortunes privées. Quand, en décembre 1989, la Bourse de Tokyo atteignit le sommet de sa course folle (le Nikkei approchait des 40.000), l'OCDE, dans son rapport, souligna l'absence d'inflation des prix, la modération des hausses de salaire. L'année suivante, l'indice baissa de 30 %. Encore aujourd'hui, il s'agite aux environs de 13.000. La spéculation sur les terrains se prolongea jusqu'en 1994. Cette année-là, le parc immobilier de l'Archipel, trente fois plus petit que le territoire américain, valait plus d'argent que le parc immobilier des Etats-Unis. Le rapport annuel de l'OCDE sur le Japon publié à l'époque en attribua les causes à l'urbanisation, à la densité démographique et au régime d'occupation des sols. Rien de tout cela n'a changé. Entre-temps, les prix se sont effondrés.
Une question lancinante devrait hanter les stratèges monétaires et les théoriciens qualifiés, c'est beaucoup d'honneur, de néo-libéraux. Les constructions artificielles d'origine presque toujours américaine qui sous-tendent leur politique résistent-elles à l'épreuve d'une critique libérée des préjugés ambiants ? La Banque du Japon s'efforce en vain depuis des années de stimuler la « demande » par la pratique de taux d'intérêt quasi nuls. La BRI - où, depuis le départ d'Alexandre Lamfaloussy en 1993, les Européens du continent n'exercent plus la moindre influence - s'interroge sérieusement sur le hic de la politique de lutte contre la déflation, selon elle handicapée par une fâcheuse asymétrie : il existe une limite à la baisse des taux qui ne peuvent descendre au dessous de 0 ! On a trouvé une parade tout aussi inopérante !
Le Japon s'est accommodé de cette prétentieuse hérésie. Une des raisons est que le yen est une monnaie forte. Aujourd'hui, appliquer des taux prochant ou égalant zéro dans le pays du dollar serait allumer une fournaise d'inflation risquant de tourner à la déflation carabinée. Les Japonais ont évité une crise ouverte du chômage malgré les pressions déflationnistes inhérentes à une crise bancaire prolongée (semblable à celle que nous connaissons en Occident). Combinée à une monnaie faible, le « credit crunch » en cours aux Etats-Unis (de même nature que celui qui a sévi au Japon) est beaucoup plus dangereux."
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